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FRONTENAC

vanité fastueuse aimait à graver en termes emphatiques le souvenir de ses exploits. Tant et si bien que cette morgue, intolérable pour l’amour propre de l’Europe, finit par éveiller le patriotisme des nations rivales, encore moins exaspérées de leurs défaites que de ces dédains.

Le cœur humain s’atrophie à demeurer trop longtemps tendu vers un désir ou une espérance. Un bonheur trop tardif est fade à goûter. Une lassitude, faite de patiences exaspérées, d’attentes énervantes, d’angoisses accumulées, s’empare de l’âme, l’aigrit à son insu, la comprime, l’émousse, au point qu’elle ne vibrera plus au contact de cette joie qui l’atteint. Elle arrive de trop loin, comme ces balles perdues, amorties par la distance, et qui n’ont pas même la force de blesser. Le plaisir est absent de l’accueil fait à cette gratification, à cette dignité, à ce titre venus si lentement et par chemins si difficiles ; le récipiendaire remercie sans doute, mais froidement, sans gratitude comme sans enthousiasme.

Cette croix de Saint-Louis dont l’éclair — en 1690 — eût si vivement brillé sur la poitrine de Frontenac, cette croix de Saint-Louis, dis-je, ne dut causer au nouveau chevalier qu’une médiocre satisfaction. En effet, cet honneur, loin d’être exclusivement distinctif, était déjà partagé entre plusieurs dans la Nouvelle-France, au temps où le gouverneur le reçut. Champigny, Callières, Vaudreuil, pour ne citer que trois noms bien connus, étaient non seulement ses égaux dans l’Ordre, mais encore ses aînés, ses doyens. Aucun d’eux cependant ne comptait au service de l’État les vingt-huit années règlementaires qui les faisaient de droit chevaliers.[1] Leurs nominations relevaient sans doute de mérites acquis et incontestables, mais aussi de la brigue et de la politique. Ils avaient donc eu, personnellement, assez d’influence pour prendre et garder le pas sur Frontenac dans un ordre essentiellement militaire, où lui, Frontenac, aurait dû les dépasser

  1. Les nobles se réclamaient, pour obtenir la croix de St-Louis, ou d’une action d’éclat ou de vingt-huit ans de bons services envers l’État.