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FRONTENAC

venablement éloignés, à bonne distance l’un de l’autre. Ce n’était pas mesquinerie mais prudence : ou craignait évidemment d’engorger la bourse de Frontenac. Or, rien de plus mortellement dangereux qu’une pléthore d’écus déclarée chez un prodigue.

Et voilà pourquoi la gratitude du souverain, toute royale qu’elle voulût être, mesurait ses expressions et choisissait ses termes, expressions aussi rares qu’exactes, termes aussi précis qu’espacés.

Pour son admirable conduite au siège de Québec ? Frontenac reçut du Roi-Soleil… une lettre de félicitations. Cet honneur, qui eût rendu fou de joie le duc de Saint-Simon, laissa Frontenac impassible. Le gouverneur attendait mieux de Louis le Magnifique. Son dernier exploit, (un service politique inestimable qui conservait à la France la plus belle de ses colonies) avait rendu Frontenac difficile, exigeant, sur la nature d’une récompense que l’État devait choisir éclatante. Les compliments du souverain comblèrent sans doute sa vanité, mais ils trompèrent du même coup sa plus fière ambition : la croix de l’Ordre de Saint-Louis lui échappait encore ! Le glorieux vétéran eut la force de déguiser son dépit, et sut remercier dignement le monarque son maître.[1] Mais, tout en appréciant comme il convenait l’auguste missive de Louis XIV, Frontenac, que son désappointement avait rendu sceptique, disait aux intimes, à ses heures d’ironie, qu’il ne fallait jamais prendre à la lettre la reconnaissance des rois, même sur la garantie de leurs autographes !

Aussi, quand advient, en 1696, l’expédition contre les Iroquois, une campagne extrêmement brillante et qui ressemblait plutôt à une marche triomphale, l’ambitieux Frontenac ne perd pas cette belle et dernière occasion d’informer Louis XIV « du succès que la Providence avait donné à ses armes dans le nouveau comme dans

  1. J’ai publié cette lettre, in extenso, dans mon ouvrage, Sir William Phips devant Québec, pages 404, 405 et 406.