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ET SES AMIS

Au chapitre troisième de la première partie de cette étude j’ai fait, par le détail, l’énumération des influences sociales et politiques que Frontenac mit en jeu pour s’assurer, en 1672, le poste si peu enviable et si fort envié de gouverneur du Canada. Cette simple nomenclature d’illustres amis et de puissants alliés suffit, elle seule, à bien faire connaître le milieu aristocratique où vivait Louis de Buade en France. Concevez maintenant l’effrayante solitude de ce vieillard — Frontenac avait soixante-dix ans en 1689 — vivant au château Saint-Louis plus isolé qu’un lépreux dans un lazaret. Le plus humble de ses commensaux, l’habitant, dont il enviait la chaumière, aperçue des fenêtres de son palais, était plus heureux que lui, plus entouré de sollicitudes et de tendresses. Ce misérable avait un foyer domestique, une femme, des enfants, qui le consolaient d’avoir quitté la douce et belle France. Mais lui, que possédait-il ?

Infortuné Frontenac ! où donc était sa famille ? Hélas ! ceux-là des siens qui se trouvaient le plus près de lui étaient encore les morts. En effet son fils unique, François-Louis, tué à la tête de son régiment, en pleine jeunesse et en pleine gloire, n’était-il pas moins éloigné de son père que cette épouse vivant à Paris dans toutes les joies et les triomphes d’une vie la plus mondaine et la plus intellectuelle qui fut jamais ?

Si, dans ses souvenirs les plus intimes et les plus sacrés, l’amour domestique ne consolait pas la tristesse de Frontenac, la mémoire de ses triomphes militaires ou la pensée de ses victoires politiques le consolaient-elles davantage ? Ses triomphes militaires ? mais on les niait insolemment. Ai-je besoin de rappeler à mon lecteur la profanation du manuscrit de Goyer et l’infâme commentaire annotant l’oraison funèbre du gouverneur à la page même où se trouvait consignée la vibrante apostrophe du lieutenant de Louis XIV au parlementaire de Phips ?

Ses victoires politiques ? Eh ! vraiment ! en avait-il remporté de décisives ? Le temps qu’avait duré ses deux administrations — dix-huit années — le Canada-mission et