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LE PROGRÈS DES IDÉES POSITIVES DANS L’ESTHÉTIQUE

littérature est l’expression de la société, il convient de ne l’entendre qu’avec bien des précautions et des réserves » (1). Taine a simplifié trop le problème ; il a cru qu’en fixant quelques relations, on déterminait du même coup l’apparition de l’œuvre. En comparant ces deux conceptions, nous saisirons mieux leurs différences.

4. — Dans la Correspondance de Gustave Flaubert on trouve des idées esthétiques peu différentes de celles de Sainte-Beuve et, à coup sûr, fort intéressantes.

Anatole France, dans La Vie littéraire, a écrit : « Les idées de Flaubert sont pour rendre fou tout homme de bon sens. Elles sont absurdes et si contradictoires que quiconque tenterait d’en concilier seulement trois serait vu bientôt pressant ses tempes des deux mains pour empêcher sa tête d’éclater. La pensée de Flaubert était une éruption et un cataclysme. Cet homme énorme avait la logique d’un tremblement de terre » (2). Mais, Anatole France semble avoir été, pour une t’ois, trop sévère ; les idées artistiques et esthétiques de Flaubert (3) ne nous paraissent pas aussi incohérentes que veut nous le faire croire le critique de La Vie littéraire.

Un des problèmes esthétiques qui semble avoir le plus et le plus longtemps préoccupé l’esprit de Flaubert, est celui du fond et de la forme dans l’œuvre d’art. Il écrivait déjà en 1846 à M me X. : « Pourquoi dis-tu sans cesse que j’aime le clinquant, le chatoyant, le pailleté ! poète de la forme ! c’est là le grand mot que les utilitaires jettent aux vrais artistes. Pour moi, tant qu’on ne m’aura pas, d’une phrase donnée, séparé la forme du fond, je soutiendrai que ce sont là deux mots vides de sens. Il n’y a pas de belles pensées sans belles formes et réciproquement Supposer une idée qui n’ait pas de forme, c’est impossible, de même qu’une forme qui n’exprime pas une idée » (4). Onze ans après, Flaubert écrira des pensées analo gués sur la même question. « Vous me dites que je fais trop atten-

(1) Nouveaux Lundis, t. VIII, Articles sur Taine, p. 66 à 138 (écrits en 1864 et publiés en volume eu 1867).

(2) La Vie littéraire. 3 e série. Art. Les idées de G. Flaubert. Vol. III, p. 298.

(3) Consulter : — Correspondance. Quatre séries : 1830-18 ; 50, 1850-1854, 1854-1869, 1869-1880.

— Préface aux Dernières chansons (poésies posthumes de Louis Bouilhet). 1870.

— Par les champs et par les grèves. 1847 (publié après la mort de Flaubert).

(4) Lettre à Mme X. du 18 sept. 1846.