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En regardant sa femme, il vit qu’elle fermait
Ses bras sur sa poitrine, et qu’elle s’endormait.

Qui ne sait que la nuit a des puissances telles,
Que les femmes y sont, comme les fleurs, plus belles,
Et que tout vent du soir qui les peut effleurer
Leur enlève un parfum plus doux à respirer ?
Ce fut pourquoi, nul bruit ne frappant son ouïe,
Luigi, qui l’admirait si fraîche épanouie,
Si tranquille, si pure, œil mourant, front penché,
Ainsi qu’un jeune faon dans les hauts blés couché,
Sentit ceci, — qu’au front d’une femme endormie,
Il n’est âme si rude et si bien affermie
Qui ne trouve de quoi voir son plus dur chagrin
Se fondre comme au feu d’une flamme l’airain.
Car, à qui s’en fier, mon Dieu ! si la nature
Nous fait voir à sa face une telle imposture,
Qu’il faille séparer la créature en deux,
Et défendre son cœur de l’amour de ses yeux !

Cependant que, debout dans son antique salle,
Le Toscan sous sa lampe inclinait son front pâle,
Au pied de son balcon il crut entendre, au long
Du mur, une voix d’homme, avec un violon. -
Sur quoi, s’étant sans bruit avancé sous la barre,
Il vit distinctement deux porteurs de guitare, -
L’un inconnu, — pour l’autre, il n’en pouvait douter,
C’était son manteau noir, — il le voulut guetter.
Pourtant rien ne trahit ce qu’en sentit son âme,
Sinon qu’il mit la main lentement à sa lame,