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DON PAEZ.

Non. — Je ne voudrais pas, vois-tu, la voir mourir
Empoisonnée ; — on a trop longtemps à souffrir.
Il faudrait rester là deux heures, et peut-être
L’achever. — Ton poison, c’est une arme de traître ;
C’est un chat qui mutile et qui tue à plaisir
Un misérable rat dont il a le loisir.
Et puis cet attirail, cette mort si cruelle,
Ces sanglots, ces hoquets. — Non, non ; elle est trop belle !
Elle mourra d’un coup.
               BELISA
                            Alors, que me veux-tu ?
               DON PAEZ
Ecoute. — A-t-on raison de croire à la vertu
Des philtres ? — Dis-moi vrai.
               BELISA
                                  Vois-tu sur cette planche
Ce flacon de couleur brune, où trempe une branche ?
Approches-en ta lèvre, et tu sauras après
Si les discours qu’on tient sur les philtres sont vrais.
               DON PAEZ
Donne. — Je vais t’ouvrir ici toute mon âme :
Après tout, vois-tu bien, je l’aime, cette femme.
Un cep, depuis cinq ans planté dans un rocher,
Tient encore assez ferme à qui veut l’arracher.
C’est ainsi, Belisa, qu’au cœur de ma pensée
Tient et résiste encor cette amour insensée.
Quoi qu’il en soit, il faut que je frappe. — Et j’ai peur
De trembler devant elle.
               BELISA