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PREMIÈRES POÉSIES.

Que des lansquenets gris s’en vont partout criant.
Près de lui, çà et là, ses compagnons de guerre,
Les uns dans leurs manteaux s’endormant sur la terre,
D’autres jouant aux dés. — Propos, récits d’amours,
Et le vin (comme on pense), et les mauvais discours
N’y manquent pas. — Pendant que l’un fait, après boire,
Sur quelque brave fille une méchante histoire,
L’autre chante à demi, sur la table accoudé.
Celui-ci, de travers examinant son dé,
A chaque coup douteux grince dans sa moustache.
Celui-là, relevant le coin de son panache,
Fait le beau parleur, jure ; un autre, retroussant
Sa barbe à moitié rouge, aiguisée en croissant,
Se verse d’un poignet chancelant, et se grise
A la santé du roi, comme un chantre d’église.
Pourtant un maigre suif, allumé dans un coin,
Chancelle sur la nappe à chaque coup de poing.
Voici donc qu’au milieu des rixes, des injures,
Des bravos, des éclats qu’allument les gageures,
L’un d’eux : "Messieurs, dit-il, vous êtes gens du roi,
Braves gens, cavaliers volontaires. — Bon. — Moi,
Je vous déclare ici trois fois gredin et traître,
Celui qui ne va pas proclamer, reconnaître,
Que les plus belles mains qu’en ce chien de pays
On puisse voir encor de Burgos à Cadix,
Sont celles de dona Cazales de Séville,
Laquelle est ma maîtresse, au dire de la ville ! "

Ces mots, à peine dits, causèrent un haro
Qui du prochain couvent ébranla le carreau.