Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1887.djvu/19

Cette page n’a pas encore été corrigée
10
PREMIERES POÉSIES.

Celles-là vont au bal, courent les rendez-vous,
Savent dans un manchon cacher un billet doux,
Serrer un ruban noir sur un beau flanc qui ploie,
Jeter d’un balcon d’or une échelle de soie,
Suivre l’imbroglio de ces amours mignons,
Poussés en une nuit comme des champignons.
Si charmantes, d’ailleurs ! aimant en enragées
Les moustaches, les chiens, la valse et les dragées.
Mais, oh ! la triste chose et l’étrange malheur,
Lorsque dans leurs filets tombe un homme de cœur !
Frère, mieux lui vaudrait, comme ce statuaire
Qui pressait dans ses bras son amante de pierre,
Réchauffer de baisers un marbre, mieux vaudrait
Une louve affamée en quelque âpre forêt.

Ce que je dis ici, je le prouve en exemple.
J’entre donc en matière, et, sans discours plus ample,
Ecoutez une histoire :
                       Un mardi, cet été,
Vers deux heures de nuit, si vous aviez été
Place San-Bernardo, contre la jalousie
D’une fenêtre en brique, à frange cramoisie,
Et que, le cerveau mû de quelque esprit follet,
Vous eussiez regardé par le trou du volet,
Vous auriez vu, d’abord, une chambre tigrée,
De candélabres d’or ardemment éclairée ;
Des marbres, des tapis montant jusqu’aux lambris ;
Çà et là, les flacons d’un souper en débris ;
Des vins, mille parfums ; à terre, une mandore