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Où le vertige prend, où l’air devient le feu,
Et l’homme doit mourir où commence le Dieu."

La lune se voilait ; la nuit était profonde,
Et nul témoin des cieux ne veillait sur le monde.
La lampe tout à coup s’éteignit. "Reste là,
Dit Portia, je m’en vais l’allumer." Elle alla
Se baisser au foyer. — La cendre à demi morte
Couvrait à peine encore une étincelle, en sorte
Qu’elle resta longtemps. — Mais lorsque la clarté
Eut enfin autour d’eux chassé l’obscurité :
"Ciel et terre, Dalti ! Nous sommes trois, dit-elle.
— Trois", répéta près d’eux une voix à laquelle
Répondirent au loin les voûtes du château.
Immobile, caché sous les plis d’un manteau,
Comme au seuil d’une porte une antique statue,
Onorio, debout, avait frappé leur vue.
— D’où venait-il ainsi ? Les avait-il guettés
En silence longtemps, et longtemps écoutés ?
De qui savait-il l’heure, et quelle patience
L’avait fait une nuit épier la vengeance ?
Cependant son visage était calme et serein,
Son fidèle poignard n’était pas dans sa main,
Son regard ne marquait ni colère ni haine ;
Mais ses cheveux, plus noirs, la veille, que l’ébène,
Chose étrange à penser, étaient devenus blancs.
Les amants regardaient, sous les rayons tremblants
De la lampe déjà par l’aurore obscurcie,
Ce vieillard d’une nuit, cette tête blanchie,
Avec ses longs cheveux plus pâles que son front.