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C’est alors que de loin, au détour d’une allée,
Se détache en silence une barque isolée,
Sans voile, pour tout guide ayant son matelot,
Avec son pavillon flottant sous son falot.
Telle, au sein de la nuit, et par l’onde bercée,
Glissait, par le zéphyr lentement balancée,
La légère chaloupe où le jeune Dalti
Agitait en ramant le flot appesanti.
Longtemps, au double écho de la vague plaintive,
On le vit s’éloigner, en voguant, de la rive ;
Mais, lorsque la cité, qui semblait s’abaisser
Et lentement au loin dans les flots s’enfoncer,
Eut, en se dérobant, laissé l’horizon vide,
Semblable à l’alcyon qui, dans son cours rapide,
S’arrête tout à coup, la chaloupe écarta
Ses rames sur l’azur des mers, et s’arrêta.
« Portia, dit l’étranger, un vent plus doux commence
À se faire sentir. Chante-moi ta romance. »

Peut-être que le seuil du vieux palais Luigi
Du pur sang de son maître était encor rougi ;
Que tous les serviteurs sur les draps funéraires
N’avaient pas achevé leurs dernières prières ;
Peut-être qu’alentour des sinistres apprêts
Les moines, s’agitant comme de noirs cyprès
Et mêlant leurs soupirs aux cantiques des vierges,
N’avaient pas sur la tombe encore éteint les cierges ;
Peut-être de la veille avait-on retrouvé
Le cadavre perdu, le front sous un pavé ;
Son chien pleurait sans doute et le cherchait encore.
Mais, quand Dalti parla, Portia prit sa mandore,
Mêlant sa douce voix, que l’écho répétait,
Au murmure moqueur du flot qui l’emportait.