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« Voici la clef ; allez jusqu’à ce mur, c’est là
Qu’on vous attend ; allez vite, et faites en sorte
Qu’on vous voie. — Merci, » dit l’étranger. — La porte
Retomba lentement derrière lui. « Le ciel
Les garde ! » dit la vieille en marchant à l’autel.

Où donc, noble jeune homme, à cette heure où les ombres
Sous les pieds du passant tendent leurs voiles sombres,
Où donc vas-tu si vite ? et pourquoi ton coursier
Fait-il jaillir le feu de l’étrier d’acier ?
Ta dague bat tes flancs, et ta tempe ruisselle ;
Jeune homme, où donc vas-tu ? qui te pousse ou t’appelle ?
Pourquoi comme un fuyard sur l’arçon te courber ?
Frère, la terre est grise, et l’on y peut tomber.
Pourtant ton serviteur fidèle, hors d’haleine,
Voit de loin ton panache, et peut le suivre à peine.
Que Dieu soit avec toi, frère, si c’est l’amour
Qui t’a dans l’ombre ainsi fait devancer le jour !
L’amour sait tout franchir, et bienheureux qui laisse
La sueur de son front aux pieds de sa maîtresse !
Nulle crainte en ton cœur, nul souci du danger.
Va ! — Et ce qui t’attend là-bas, jeune étranger,
Que ce soit une main à la tienne tendue,
Que ce soit un poignard au tournant d’une rue,
Qu’importe ? — Va toujours, frère, Dieu seul est grand !

Mais, près de ce palais, pourquoi ton œil errant
Cherche-t-il donc à voir et comme à reconnaître
Ce kiosque, à la nuit close entr’ouvrant sa fenêtre ?
Tes vœux sont-ils si haut et si loin avancés ?
Jeune homme, songes-y ; ce réduit, tu le sais,
Se tient plus invisible à l’œil que la pensée
Dans le cœur de son maître, inconnue et glacée.