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Vous savez que la haine en ce pays n’est pas
Un géant comme ici fier et levant le bras ;
C’est une empoisonneuse en silence accroupie
Au revers d’un fossé, qui de loin vous épie,
Boiteuse, retenant son souffle avec sa voix,
Et, crainte de faillir, s’y prenant à deux fois.


II


L’église était déserte, et les flambeaux funèbres
Croisaient en chancelant leurs feux dans les ténèbres,
Quand le jeune étranger s’arrêta sur le seuil.
Sa main n’écarta pas son long manteau de deuil
Pour puiser l’eau bénite au bord de l’urne sainte.
Il entra sans respect dans la divine enceinte ;
Mais aussi sans mépris. — Quelques religieux
Priaient bas, et le chœur était silencieux.
Les orgues se taisaient, les lampes immobiles
Semblaient dormir en paix sous les voûtes tranquilles ;
Un écho prolongé répétait chaque pas.
Solitudes de Dieu, qui ne vous connaît pas ?
Dômes mystérieux, solennité sacrée,
Quelle âme, en vous voyant, est jamais demeurée
Sans doute ou sans terreur ? — Toutefois, devant vous
L’inconnu ne baissa le front ni les genoux.
Il restait en silence et comme dans l’attente.
— L’heure sonna. — Ce fut une femme tremblante
De vieillesse sans doute, ou de froid (car la nuit
Était froide), qui vint à lui. « Le temps s’enfuit,
Dit-il, entendez-vous le coq chanter ? La rue
Paraît déserte encore, mais l’ombre diminue ;
Marchez donc devant moi. » — La vieille répliqua :