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C’était un Florentin ; jeune, il avait été
Ce qu’on appelle à Rome un coureur d’aventure.
Débauché par ennui, mais triste par nature,
Voyant venir le temps, il s’était marié ;
Si bien qu’ayant tout su, n’ayant rien oublié, —
Pourquoi ne pas le dire ? il était jaloux. — L’homme
Qui vit sans jalousie, en ce bas monde, est comme
Celui qui dort sans lampe : il peut sentir le bras
Qui vient pour le frapper, mais il ne le voit pas.

Pour le palais Luigi, la porte en était libre.
Le comte eût mis en quatre et jeté dans le Tibre
Quiconque aurait osé toucher sa femme au pied ;
Car nul pouvoir humain, quand il avait prié,
Ne l’eût fait d’un instant différer ses vengeances.
Il avait acheté du ciel ses indulgences,
On le disait du moins. — Qui dans Rome eût pensé
Qu’un tel homme pût être impunément blessé ?
Mariée à quinze ans, noble, riche, adorée,
De tous les biens du monde à loisir entourée,
N’ayant dès le berceau connu qu’une amitié,
Sa femme ne l’avait jamais remercié ;
Mais quel soupçon pouvait l’atteindre ? et qu’était-elle,
Sinon la plus loyale et la moins infidèle
Des épouses ? —

Des épouses ? — Luigi s’était levé. Longtemps
Il parut réfléchir en marchant à pas lents.
Enfin, s’arrêtant court : « Portia, vous êtes lasse,
Dit-il, car vous dormez tout debout. — Moi, de grâce ?
Prit-elle en rougissant ; oui, j’ai beaucoup dansé.
Je me sens défaillir malgré moi. — Je ne sais,
Reprit Onorio, quel était ce jeune homme