Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tel est l’amour, Silvio ; — l’amour est une épreuve ;
Il faut aller au but, — la femme est le clocher.
Prenez garde au torrent, prenez garde au rocher ;
Faites ce qui vous plaît, le but est immobile.
Mais croyez que c’est prendre une peine inutile
Que de rester en place et de crier bien fort :
Clocher ! clocher ! je t’aime, arrive, ou je suis mort.

Silvio.

Je sens la vérité de votre parabole,
Mais si je ne puis rien trouver, même en parole,
Que pourrai-je valoir, seigneur, en action ?
Tout le réel pour moi n’est qu’une fiction ;
Je suis dans un salon comme une mandoline
Oubliée en passant sur le bord d’un coussin.
Elle renferme en elle une langue divine ;
Mais si son maître dort, tout reste dans son sein.

Laërte.

Écoutez donc alors ce qu’il vous faudra faire.
Recevoir un mari de la main de son père,
Pour une jeune fille est un pauvre régal.
C’est un serpent doré qu’un anneau conjugal.
C’est dans les nuits d’été, sur une mince échelle,
Une épée à la main, un manteau sur les yeux,
Qu’une enfant de quinze ans rêve ses amoureux.
Avant de se montrer, il faut leur apparaître.
Le père ouvre la porte au matériel époux,
Mais toujours l’idéal entre par la fenêtre.
Voilà, mon cher Silvio, ce que j’attends de vous.
Connaissez-vous l’escrime ?

Silvio.

Connaissez-vous l’escrime ?Oui, je tire l’épée.

Laërte.

Et pour le pistolet, vous tuez la poupée,