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N’avez-vous jamais fait la cour à quelques belles ?
Quel moyen preniez-vous pour dompter les cruelles ?

Silvio.

Père, ne raillez pas, je me défendrais mal.
Bien que je sois sorti d’un sang méridional,
Jamais les imbroglios, ni les galanteries,
Ni l’art mystérieux des douces flatteries,
Ce bel art d’être aimé, ne m’ont appartenu.
Je vivrai sous le ciel comme j’y suis venu.
Un serrement de main, un regard de clémence,
Une larme, un soupir, voilà pour moi l’amour ;
Et j’aimerai dix ans comme le premier jour.
J’ai de la passion, et n’ai point d’éloquence.
Mes rivaux, sous mes yeux, sauront plaire et charmer.
Je resterai muet ; — moi, je ne sais qu’aimer.

Laërte.

Les femmes cependant demandent autre chose.
Bien plus, sans les aimer, du moment que l’on ose,
On leur plaît. La faiblesse est si chère à leur cœur,
Qu’il leur faut un combat pour avoir un vainqueur.
Croyez-moi, j’ai connu ces êtres variables.
Il n’existe, dit-on, ni deux feuilles semblables,
Ni deux cœurs faits de même, et moi, je vous promets
Qu’en en séduisant une on séduit tout un monde.
L’une aura les pieds plats, l’autre la jambe ronde,
Mais la communauté ne changera jamais.
Avez-vous jamais vu les courses d’Angleterre ?
On prend quatre coureurs, — quatre chevaux sellés ;
On leur montre un clocher, puis on leur dit : Allez !
Il s’agit d’arriver, — n’importe la manière.
L’un choisit un ravin, — l’autre un chemin battu.
Celui-ci gagnera, s’il ne rencontre un fleuve,
Celui-là fera mieux, s’il n’a le cou rompu.