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Le tenait embrassé, comme je te tiens là.
Il se tordait en vain sous le spectre sans âme ;
Il semblait qu’un noyé l’eût pris entre ses bras.
Cet homme infortuné… Tu ne m’écoutes pas ?
Voyons, viens m’embrasser.

DÉIDAMIA.

Voyons, viens m’embrasser.Oh ! non, je vous en prie.

Il l’embrasse de force.

Frank, mon cher petit Charle, attends qu’on nous marie ;
Attends jusqu’à ce soir. — Ma mère va venir.
Je ne veux pas, monsieur. — Ah ! tu me fais mourir !

FRANK.

Lumière du soleil, quelle admirable fille !

DÉIDAMIA.

Il faudra, mon ami, nous faire une famille ;
Nous aurons nos voisins, ton père, tes parents,
Et ma mère surtout. — Nous aurons nos enfants.
Toi, tu travailleras à notre métairie ;
Moi, j’aurai soin du reste et de la laiterie ;
Et, tant que nous vivrons, nous serons tous les deux,
Tous les deux pour toujours, et nous mourrons bien vieux.
Vous riez ? Pourquoi donc ?

FRANK.

Vous riez ? Pourquoi donc ?Oui, je ris du tonnerre.
Oui, le diable m’emporte, il peut tomber sur moi.

DÉIDAMIA.

Qu’est-ce que c’est, monsieur ? voulez-vous bien vous taire !

FRANK.

Va toujours, mon enfant, je ne ris pas de toi.

DÉIDAMIA.

Qui donc est encor là ? Je te dis qu’on nous guette.
Tu ne vois pas là-bas remuer une tête ?
Là, — dans l’ombre du mur ?