Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fut élevé dans l’air à côté de son ombre,
Et le marbre insensé tomba du piédestal.
Frank renaît : ce n’est plus cet homme au regard sombre,
Au front blême, au cœur dur, et dont l’oisiveté
Laissait sur ses talons traîner sa pauvreté.
C’est un gai compagnon, un brave homme de guerre,
Qui frappe sur l’épaule aux honnêtes fermiers.
Aussi, Dieu soit loué, ses torts sont oubliés,
Et nous voilà tous prêts à boire dans son verre.
C’est aujourd’hui sa noce avec Déidamia.
Quel bon cœur de quinze ans ! et quelle ménagère !
S’il fut jamais aimé, c’est bien de celle-là.
— Un soldat m’a conté l’histoire de la bière.
Il paraît que d’abord Frank s’était mis dedans.
Deux de ses serviteurs, ses deux seuls confidents,
Fermèrent le couvercle, et, dès la nuit venue,
Le prêtre et les flambeaux traversèrent la rue.
Après que sur leur dos les porteurs l’eurent pris :
« Vous laisserez, dit-il, un trou pour que l’air passe.
Puisque je dois un jour voir la mort face à face,
Nous ferons connaissance, et serons vieux amis. »
Il se fit emporter dans une sacristie ;
Regardant par son trou le ciel de la patrie,
Il s’en fut au saint lieu dont les chiens sont chassés,
Sifflant dans son cercueil l’hymne des trépassés.
Le lendemain matin, il voulut prendre un masque,
Pour assister lui-même à son enterrement.
Eh ! quel homme ici-bas n’a son déguisement ?
Le froc du pèlerin, la visière du casque,
Sont autant de cachots pour voir sans être vu.
Et n’en est-ce pas un souvent que la vertu ?
Vrai masque de bouffon, que l’humble hypocrisie
Promène sur le vain théâtre de la vie,