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Tu seras mon asile et mon expérience,
Si le doute, ce fruit tardif et sans saveur,
Est le dernier qu’on cueille à l’arbre de science,
Qu’ai-je à faire de plus, moi qui le porte au cœur ?
Le doute ! il est partout, et le courant l’entraîne,
Ce linceul transparent, que l’incrédulité
Sur le bord de la tombe a laissé par pitié
Au cadavre flétri de l’espérance humaine !
— Ô siècles à venir ! Quel est donc votre sort ?
La gloire comme une ombre au ciel est remontée,
L’amour n’existe plus ; — la vie est dévastée, —
Et l’homme, resté seul, ne croit plus qu’à la mort.
— Tel que dans un pillage, en un jour de colère,
On voit, à la lueur d’un flambeau funéraire,
Des meurtriers, courbés dans un silence affreux,
Égorger une vierge, et dans ses longs cheveux
Plonger leurs mains de sang ; la frêle créature
Tombe comme un roseau sur ses bras mutilés : —
Tels les analyseurs égorgent la nature
Silencieusement, sous les cieux dépeuplés.
— Que vous restera-t-il, enfants de nos entrailles,
Le jour où vous viendrez suivre les funérailles
De cette moribonde et vieille humanité ?
Ah ! tu nous maudiras, pâle postérité !
Nos femmes ne mettront que des vieillards au monde.
Ils frapperont la terre avant de s’y coucher ;
Puis ils crieront à Dieu : Père, elle était féconde.
À qui donc as-tu dit de nous la dessécher ?
— Mais vous, analyseurs, persévérants sophistes,
Quand vous aurez tari tous les puits des déserts,
Quand vous aurez prouvé que ce large univers
N’est qu’un mort étendu sous les anatomistes ;
Quand vous nous aurez fait de la création