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Ce sont des actions, des périls, dont l’empire
Est vivace, et résiste à l’heure des oublis.
Mais moi qui n’ai rien vu, rien fait, qu’ai-je à te dire ?
L’histoire de ma vie est celle de mon cœur ;
C’est un pays étrange où je fus voyageur.
Ah ! soutiens-moi le front, la force m’abandonne !
Parle, parle, je veux t’entendre jusqu’au bout.
Allons, un beau baiser, et c’est moi qui le donne,
Un baiser pour ta vie, et qu’on me dise tout.

BELCOLORE, soupirant.

Ah ! je n’ai pas toujours vécu comme l’on pense.
Ma famille était noble, et puissante à Florence.
On nous a ruinés ; — ce n’est que le malheur
Qui m’a forcée à vivre aux dépens de l’honneur…
Mon cœur n’était pas fait…

FRANK, se détournant.

Mon cœur n’était pas fait…Toujours la même histoire !
Voici peut-être ici la vingtième catin
À qui je la demande, et toujours ce refrain !
Qui donc ont-elles vu d’assez sot pour y croire ?
Mon Dieu ! dans quel bourbier me suis-je donc jeté ?
J’avais cru celle-ci plus forte, en vérité !

BELCOLORE

Quand mon père mourut…

FRANK.

Quand mon père mourut…Assez, je t’en supplie.
Je me ferai conter le reste par Julie
Au premier carrefour où je la trouverai.

Tous deux restent en silence, quelques temps.

Dis-moi, ce fameux jour que tu m’as rencontré,
Pourquoi, par quel hasard, — par quelle sympathie
T’es-tu de m’emmener senti la fantaisie ?
J’étais couvert de sang, poudreux, et mal vêtu.