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(Soit dit sans vanité, c’est ce que l’on ressent.)
On ne travaille pas, — on écoute, — on attend.
C’est comme un inconnu qui vous parle à voix basse.
On reste quelquefois une nuit sur la place,
Sans faire un mouvement et sans se retourner.
On est comme un enfant dans ses habits de fête,
Qui craint de se salir et de se profaner ;
Et puis, — et puis, — enfin ! — on a mal à la tête.
Quel étrange réveil ! — comme on se sent boiteux !
Comme on voit que Vulcain vient de tomber des cieux !
C’est l’effet que produit une prostituée,
Quand, le corps assouvi, l’âme s’est réveillée,
Et que, comme un vivant qu’on vient d’ensevelir,
L’esprit lève en pleurant le linceul du plaisir.
Pourtant c’est l’opposé ; — c’est le corps, c’est l’argile ;
C’est le cercueil humain, un moment entr’ouvert.
Qui, laissant retomber son couvercle débile,
Ne se souvient de rien, sinon qu’il a souffert.


Si tout finissait là ! voilà le mot terrible.
C’est Jésus, couronné d’une flamme invisible,
Venant du Pharisien partager le repas.
Le Pharisien parfois voit luire une auréole
Sur son hôte divin, — puis, quand elle s’envole,
Il dit au Fils de Dieu : Si tu ne l’étais pas ?
Je suis le Pharisien, et je dis à mon hôte :
Si ton démon céleste était un imposteur ?
Il ne s’agit pas là de reprendre une faute,
De retourner un vers comme un commentateur,
Ni de se remâcher comme un bœuf qui rumine.
Il est assez de mains, chercheuses de vermine,
Qui savent éplucher un récit malheureux,
Comme un pâtre espagnol épluche un chien lépreux.