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Soixante ans de vertu l’ont fait croire au bonheur.
Georgina s’est levée ! Ah ! que cette pâleur
Lui sied bien à tes yeux, Tiburce, et qu’elle est belle !
Courbe-toi, jeune fille, et du pied de l’autel
Viens présenter ton front au baiser paternel.
Presse, en te retirant, sur ta lèvre brûlante
La main de ce vieillard — encor ! — bien ! presse-la !
N’entends-tu pas ton cœur, douce et loyale amante,
Ton cœur qui bat de joie, et te crie : « Il est là ! »

Il est là, miss Smolen, qui t’attend, et qui compte
Les bénédictions d’un père à son enfant,
Il est là, sur le-seuil, qui descend et qui monte,
Comme un larron de nuit que la frayeur surprend.
Hâte-toi, le temps fuit ! l’horizon se colore !
L’astre des nuits bientôt va briller — hâte-toi !

Mais à peine au château quelques clartés encore
S’agitent ça et là. — Le silence — l’effroi. —
Quelques pas, quelques sons traversent la nuit sombre ;
Une porte a gémi dans un long corridor. —
Tiburce attend toujours. — Le ravisseur, dans l’ombre,
N’a-t-il pas des pensers de meurtrier ? — Tout dort.

Oh ! qui n’a pas senti son cœur battre plus vite
À l’heure où sous le ciel l’homme est seul avec Dieu ?
Qui ne s’est retourné, croyant voir à sa suite
Quelque forme glisser — quand des lignes de feu,
Se croisant en tous sens, brillent dans les ténèbres,
Comme les veines d’or du mur d’airain des nuits !…
Lorsque l’homme effrayé, soulevant les tapis
Qui se froissent sur lui, croit que des cris funèbres