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Qui ne sait si la rive est perfide ou fidèle,
Si le fleuve à la fin devient lac ou torrent ;
Ainsi la jeune fille, écoutant sa pensée,
Sans crainte, sans effort, et par sa voix bercée,
Sur les flots enchantés du fleuve harmonieux
S’éloignait du rivage en regardant les cieux…

Quel charme elle exerçait ! Comme tous les visages
S’animaient tout à coup d’un regard de ses yeux !
Car, hélas ! que ce soit, la nuit dans les orages,
Un jeune rossignol pleurant au fond des bois,
Que ce soit l’archet d’or, la harpe éolienne,
Un céleste soupir, une souffrance humaine,
Quel est l’homme, aux accents d’une mourante voix,
Qui, lorsque pour entendre il a baissé la tête,
Ne trouve dans son cœur, même au sein d’une fête,
Quelque larme à verser, — quelque doux souvenir
Qui s’allait effacer et qu’il sent revenir ?

Déjà le jour s’enfuit, — le vent souffle, — silence !
La terreur brise, étend, précipite les sons.
Sous les brouillards du soir le meurtrier s’avance,
Invisible combat de l’homme et des démons !
À l’action, Iago ! Cassio meurt sur la place.
Est-ce un pêcheur qui chante, est-ce le vent qui passe ?
Écoute, moribonde ! Il n’est pire douleur
Qu’un souvenir heureux dans les jours de malheur.

Mais, lorsqu’au dernier chant la redoutable flamme
Pour la troisième fois vient repasser sur l’âme
Déjà prête à se fondre, et que dans sa frayeur
Elle presse en criant sa harpe sur son cœur…
La jeune fille alors sentit que son génie