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Dans un âge rempli de crainte et d’espérance,
Elle a déjà connu la triste indifférence,
Cette fille du temps. — Qui pourrait cependant
Se lasser d’admirer ce front triste et charmant
Dont l’aspect seul éloigne et guérit toute peine ?
Tant sont puissants, hélas ! sur la misère humaine
Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur,
Jeunesse de visage et jeunesse de cœur !
Chose étrange à penser, il paraît difficile
Au regard le plus dur et le plus immobile
De soutenir le sien. — Pourquoi ? Qui le dira ?
C’est un mystère encor. — De ce regard céleste
L’atteinte, allant au cœur, est sans doute funeste,
Et devra coûter cher à qui la recevra.

Miss Smolen commença ; — l’on ne voyait plus qu’elle.
On connaît ce regard qu’on veut en vain cacher,
Si prompt, si dédaigneux, quand une femme est belle !…
Mais elle ne parut le fuir ni le chercher.

Elle chanta cet air qu’une fièvre brûlante
Arrache, comme un triste et profond souvenir,
D’un cœur plein de jeunesse et qui se sent mourir ;
Cet air qu’en s’endormant Desdemona tremblante,
Posant sur son chevet son front chargé d’ennuis,
Comme un dernier sanglot soupire au sein des nuits.

D’abord ses accents purs, empreints d’une tristesse
Qu’on ne peut définir, ne semblèrent montrer
Qu’une faible langueur, et cette douce ivresse
Où la bouche sourit et les yeux vont pleurer.
Ainsi qu’un voyageur couché dans sa nacelle,
Qui se laisse au hasard emporter au courant,