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La séve languissante et les germes usés ;
Se fut-il dans la cendre abreuvé dès l’enfance
De végétaux sans suc et d’herbes sans chaleur ;
Quel homme, au triple aspect du punch, du vin de France
Et du cigarero, ne sentirait son cœur,
Plein d’une joie ardente et d’une molle ivresse,
S’ouvrir un paradis des rêves de jeunesse ?…
Reine, reine des cieux, ô mère des amours,
Noble, pâle beauté, douce Aristocratie !
Fille de la Richesse… ô toi, toi qu’on oublie,
Que notre pauvre France aimait dans ses vieux jours !
Toi que jadis, du haut de son paratonnerre,
Le roturier Franklin foudroya sur la terre
Où le colon grillé gouverne en liberté
Ses noirs, et son tabac par les lois prohibé ;
Toi qui créas Paris, tuas Athène et Sparte,
Et, sous le dais sanglant de l’impérial pavois,
Comme autrefois César, endormis Bonaparte
Aux murmures lointains des peuples et des rois ! —
Toi qui, dans ton printemps, de roses couronnée,
Et, comme Iphigénie à l’autel entraînée,
Jeune, tombas frappée au cœur d’un coup mortel…
— As-tu quitté la terre et regagné le ciel ?
Nous te retrouverons, perle de Cléopâtre,
Dans la source féconde, à la teinte rougeâtre,
Qui dans ses flots profonds un jour te consuma…

« Hé ! hé ! dit une voix, parbleu ! mais le voilà ;
— Messieurs, dit Rafael, entrez, j’ai fait un somme. »


1831.