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Et te désaltérer sur les lèvres d’un ange
D’une soif de ruisseau ! Pitoyable insensé !
Est-ce donc pour cela que sa mère a passé
Tant de jours inquiets, tant de nuits d’insomnie ?
Qu’elle-même ce soir sur son lit a prié,
Qu’elle a fermé sa porte, et pour l’autre moitié
Gardé jusqu’à seize ans la moitié de sa vie ;
Qu’elle a de son amour enfermé le trésor,
Comme une fleur pudique en son calice d’or ?
Quand je t’ai conseillé de tuer une femme,
Elle t’aimait du moins : c’est là qu’est le bonheur,
C’est là tout. Ô Cassius ! n’étouffe pas ta flamme
Sous la cendre ; crois-moi, cherche, comme un plongeur,
Cette perle qui dort dans la mer de son cœur.
— Et quand donc, dit Cassius, et de quelle manière
Me ferai-je aimer d’elle ? En baisant son talon ?
En enrayant ma roue à l’éternelle ornière ?
En me faisant son ombre ? Ah ! mordieu, c’est trop long.
Lui plairai-je, d’ailleurs ? La chance en est douteuse :
Elle aimera plus vite une fois dans mes bras,
Que la mort entre nous serve d’entremetteuse.

— Je vois, dit Fortunio, que tu ne connais pas
Le plus grand des moyens.
          — Lequel ?
            — Le magnétisme.
— Bah ! dit Cassius, tu ris. Avec ton athéisme,
Comment y croirais-tu ? Pour moi, je ne crois rien,
Sinon ce que je vois.
        — Ah ! dit l’autre, très-bien :
Tu crois ce que tu vois ! Ô raisonneur habile !
Et l’aveugle, à ton gré, que croira-t-il alors ?
Parce que l’on t’a fait à ta prison d’argile