— Avançons, dit Cassius. Vois-tu cette statue ?
— Oui.
— Vois-tu ce portique entr’ouvert ? Sa maison
Est derrière.
— Et son nom ?
— On l’appelle Suzon. »
Les abbés là-dessus traversèrent la ville ;
Cassius chez son ami tomba pâle et défait,
Tandis qu’à son tiroir l’autre, d’un air tranquille,
Ayant tiré sa drogue, en sifflant l’apprêtait.
« Ah çà ! dit Fortunio, tu connais donc ta belle
De ton voyage en France, ou comment t’aime-t-elle ?
C’est la seconde fois ce soir que je la vois.
— Moi, répondit Cassius, c’est la première fois.
— Comment ? Que veux-tu faire alors de cette poudre ?
— J’ai gagné deux laquais : nous avons arrêté
Que Suzanne demain la prendrait dans son thé.
Et quand je devrais être écrasé de la foudre,
Nous verrons qui rira, quand son palais désert
Se trouvera le soir par mégarde entr’ouvert.
— Que dis-tu ? reprit l’autre : abuser d’une femme
Dont tu n’es point aimé ! Voler le corps sans l’âme !
C’est affreux, c’est indigne, et c’est moins amusant.
Eh quoi ! parce qu’un jour un philtre complaisant
L’aura jetée à bas et la laissera nue
Livrée au premier chien qui passe dans la rue,
Tu seras, toi, Cassius, content d’être ce chien ?
Et tu détrôneras des sphères de lumière
La vertu d’une enfant qui, du ciel à la terre,
N’a que sa foi pour elle et ses bras pour soutien,
Pour te rouler sur elle une nuit dans ta fange,
Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/143
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.