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Don Paez le premier, parmi tous ces débats,
Voyant qu’à ce métier ils n’en finissaient pas :
« À toi ! dit-il, mon brave ! et que Dieu te pardonne ! »
Le coup fut mal porté, mais la botte était bonne ;
Car c’était une botte à lui rompre du coup,
S’il l’avait attrapé, la tête avec le cou.
Étur l’évita donc, non sans peine, et l’épée
Se brisa sur le sol, dans son effort trompée.
Alors, chacun saisit au corps son ennemi,
Comme après un voyage on embrasse un ami.
— Heur et malheur ! On vit ces deux hommes s’étreindre
Si fort, que l’un et l’autre ils faillirent s’éteindre,
Et qu’à peine leur cœur eut pour un battement
Ce qu’il fallait de place en cet embrassement.
— Effroyable baiser ! — où nul n’avait d’envie
Que de vivre assez long pour prendre une autre vie ;
Où chacun, en mourant, regardait l’autre, et si,
En le faisant râler, il râlait bien aussi ;
Où, pour trouver au cœur les routes les plus sûres,
Les mains avaient du fer, les bouches des morsures :
— Effroyable baiser ! — Le plus jeune en mourut.
Il blêmit tout à coup comme un mort, et l’on crut,
Quand on voulut après le tirer à la porte,
Qu’on ne pourrait jamais, tant l’étreinte était forte,
Des bras de l’homicide ôter le trépassé.
— C’est ainsi que mourut Étur de Guadassé.

Amour, fléau du monde, exécrable folie,
Toi qu’un lien si frêle à la volupté lie,
Quand par tant d’autres nœuds tu tiens à la douleur,
Si jamais, par les yeux d’une femme sans cœur,
Tu peux m’entrer au ventre et m’empoisonner l’âme,
Ainsi que d’une plaie on arrache une lame,