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Cette nuit ? — Ce matin.— Ta lèvre sûrement
N’a pas de ses baisers sitôt perdu la trace…
— Je vais te les cracher, si tu veux, à la face !
— Et ceci, dit Étur, ne t’est pas inconnu ? »

Comme, à cette parole, il montrait son sein nu,
Don Paez sur son cœur vit une mèche noire
Que gardait sous du verre un médaillon d’ivoire ;
Mais, dès que son regard, plus terrible et plus prompt
Qu’une flèche, eut atteint le redoutable don,
Il recula soudain de douleur et de haine,
Comme un taureau qu’un fer a piqué dans l’arène.
« Jeune homme, cria-t-il, as-tu dans quelque lieu
Une mère, une femme ? ou crois-tu pas en Dieu ?
Jure par ton Dieu, par ta mère et ta femme,
Par tout ce que tu crains, par tout ce que ton âme
Peut avoir de candeur, de franchise et de foi,
Jure que ces cheveux sont à toi, rien qu’à toi !
Que tu ne les a pas volés à ma maîtresse,
Ni trouvés, — ni coupés par derrière à la messe !
— J’en jure, dit l’enfant, ma pipe et mon poignard !
— Bien ! reprit don Paez, le traînant à l’écart,
Viens ici ; je te crois quelque vigueur à l’âme.
En as-tu ce qu’il faut pour tuer une femme ?
— Frère, dit don Étur, j’en ai trois fois assez
Pour donner leurs paiements à tous serments faussés.
— Tu vois, prit don Paez, qu’il faut qu’un de nous meure ;
Jurons donc que celui qui sera dans une heure
Debout, et qui verra le soleil de demain,
Tuera la Juana d’Orvado, de sa main.
— Tope, dit le dragon, et qu’elle meure, comme
Il est vrai qu’elle va causer la mort d’un homme ! »

Et, sans vouloir pousser son discours plus avant,