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Quel tombeau que le cœur, et quelle solitude !
Comment la passion devient-elle habitude,
Et comment se fait-il que, sans y trébucher,
Sur ses propres débris l’homme puisse marcher ?
Il y marche pourtant ; c’est Dieu qui l’y convie.
Il va semant partout et prodiguant sa vie :
Désir, crainte, colère, inquiétude, ennui,
Tout passe et disparaît, tout est fantôme en lui.
Son misérable cœur est fait de telle sorte,
Qu’il faut incessamment qu’une ruine en sorte ;
Que la mort soit son terme, il ne l’ignore pas,
Et, marchant à la mort, il meurt à chaque pas.
Il meurt dans ses amis, dans son fils, dans son père,
Il meurt dans ce qu’il pleure et dans ce qu’il espère ;
Et, sans parler des corps qu’il faut ensevelir,
Qu’est-ce donc qu’oublier, si ce n’est pas mourir ?
Ah ! c’est plus que mourir ; c’est survivre à soi-même.
L’âme remonte au ciel quand on perd ce qu’on aime.
Il ne reste de nous qu’un cadavre vivant ;
Le désespoir l’habite, et le néant l’attend.

Eh bien, bon ou mauvais, inflexible ou fragile,
Humble ou fier, triste ou gai, mais toujours gémissant,
Cet homme, tel qu’il est, cet être fait d’argile,
Tu l’as vu, Lamartine, et son sang est ton sang.
Son bonheur est le tien ; sa douleur est la tienne ;
Et des maux qu’ici-bas il lui faut endurer,
Pas un qui ne te touche et qui ne t’appartienne ;
Puisque tu sais chanter, ami, tu sais pleurer.
Dis-moi, qu’en penses-tu dans tes jours de tristesse ?
Que t’a dit le malheur, quand tu l’as consulté ?
Trompé par tes amis, trahi par ta maîtresse,
Du ciel et de toi-même as-tu jamais douté ?