Page:Musset - Poésies nouvelles (Charpentier 1857).djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Que de tes chants divins je me suis souvenu.

Ô toi qui sais aimer, réponds, amant d’Elvire
Comprends-tu que l’on parte et qu’on se dise adieu ?
Comprends-tu que ce mot, la main puisse l’écrire,
Et le cœur le signer, et les lèvres le dire,
Les lèvres, qu’un baiser vient d’unir devant Dieu !
Comprends-tu qu’un lien qui, dans l’âme immortelle,
Chaque jour plus profond, se forme à notre insu ;
Qui déracine en nous la volonté rebelle,
Et nous attache au cœur son merveilleux tissu ;
Un lien tout-puissant dont les nœuds et la trame
Sont plus durs que la roche et que les diamants ;
Qui ne craint ni le temps, ni le fer, ni la flamme,
Ni la mort elle-même, et qui fait des amants
Jusque dans le tombeau s’aimer les ossements ;
Comprends-tu que dix ans ce lien nous enlace,
Qu’il ne fasse dix ans qu’un seul être de deux,
Puis tout à coup se brise, et, perdu dans l’espace,
Nous laisse épouvantés d’avoir cru vivre heureux !

Ô poëte ! il est dur que la nature humaine,
Qui marche à pas comptés vers une fin certaine,
Doive encor s’y traîner en portant une croix,
Et qu’il faille ici-bas mourir plus d’une fois.
Car de quel autre nom peut s’appeler sur terre
Cette nécessité de changer de misère,
Qui nous fait, jour et nuit, tout prendre et tout quitter,
Si bien que notre temps se passe à convoiter ?
Ne sont-ce pas des morts, et des morts effroyables,
Que tant de changements d’êtres si variables,
Qui se disent toujours fatigués d’espérer,
Et qui sont toujours prêts à se transfigurer ?