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Sa beauté m’enivrait ; je n’aimais qu’elle au monde.
Mais je croyais l’aimer comme on aime une sœur,
Tant ce qui venait d’elle était plein de pudeur !
Nous nous tûmes longtemps ; ma main touchait la sienne.
Je regardais rêver son front triste et charmant,
Et je sentais dans l’âme, à chaque mouvement,
Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine,
Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur,
jeunesse de visage et jeunesse de cœur.
La lune, se levant dans un ciel sans nuage,
D’un long réseau d’argent tout à coup l’inonda.
Elle vit dans mes yeux resplendir son image ;
Son sourire semblait d’un ange : elle chanta.



Fille de la douleur, harmonie ! harmonie !
Langue que pour l’amour inventa le génie !
Qui nous vint d’Italie, et qui lui vint des cieux !
Douce langue du cœur, la seule où la pensée,
Cette vierge craintive et d’une ombre offensée,
Passe en gardant son voile et sans craindre les yeux !
Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire
Dans tes soupirs divins, nés de l’air qu’il respire,
Tristes comme son cœur et doux comme sa voix ?
On surprend un regard, une larme qui coule ;
Le reste est un mystère ignoré de la foule,
Comme celui des flots, de la nuit et des bois !

— Nous étions seuls, pensifs ; je regardais Lucie.
L’écho de sa romance en nous semblait frémir.
Elle appuya sur moi sa tête appesantie…
Sentais-tu dans ton cœur Desdemona gémir,