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Marie en soupirant entr’ouvrit sa paupière.
« Je faisais, lui dit-elle, un rêve singulier :
J’étais là, dans ce lit, je croyais m’éveiller ;
La chambre me semblait comme un grand cimetière
Tout plein de tertres verts et de vieux ossements.
Trois hommes dans la neige apportaient une bière ;
Ils la posèrent là pour faire leur prière ;
Puis la bière s’ouvrit, et je vous vis dedans.
Un gros flot de sang noir vous coulait sur la face.
Vous vous êtes levé pour venir à mon lit ;
Vous m’avez pris la main, et puis vous avez dit :
« Qu’est-ce que tu fais là ? pourquoi prends-tu ma place ? »
Alors j’ai regardé, j’étais sur un tombeau.

— Vraiment ? répondit Jacque ; eh bien, ma chère amie,
Ton rêve est assez vrai du moins, s’il n’est pas beau.
Tu n’auras pas besoin demain d’être endormie
Pour en voir un pareil ; je me tuerai ce soir. »

Marie en souriant regarda son miroir.
Mais elle y vit Rolla si pâle derrière elle,
Qu’elle en resta muette et plus pâle que lui.
« Ah ! dit-elle en tremblant, qu’avez-vous aujourd’hui ?
— Ce que j’ai ? dit Rolla, tu ne sais pas, ma belle,
Que je suis ruiné depuis hier au soir ?
C’est pour te dire adieu que je venais te voir.
Tout le monde le sait, il faut que je me tue.
— Vous avez donc joué ? — Non, je suis ruiné.
— Ruiné ? » dit Marie. Et, comme une statue,
Elle fixait à terre un grand œil étonné.
« Ruiné ? ruiné ? vous n’avez pas de mère ?
Pas d’amis ? de parents ? personne sur la terre ?
Vous voulez vous tuer ? pourquoi vous tuez-vous ? »