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Les épaules d’argent de la Nuit qui frissonne
Se couvrent de rougeur sous son premier baiser.
Tel frissonne le corps d’une chaste pucelle,
Quand dans les soirs d’été le sang lui porte au cœur.
Tel le moindre désir qui l’effleure de l’aile
Met un voile de pourpre à la sainte pudeur.
Roi du monde, ô soleil ! la terre est ta maîtresse ;
Ta sœur dans ses bras nus l’endort à ton côté ;
Tu n’as voulu pour toi l’éternelle jeunesse
Qu’afin de lui verser l’éternelle beauté !

Vous qui volez là-bas, légères hirondelles,
Dites-moi, dites-moi, pourquoi vais-je mourir ?
Oh ! l’affreux suicide ! oh ! si j’avais des ailes,
Par ce beau ciel si pur je voudrais les ouvrir !
Dites-moi, terre et cieux, qu’est-ce donc que l’aurore ?
Qu’importe un jour de plus à ce vieil univers ?
Dites-moi, verts gazons, dites-moi, sombres mers,
Quand des feux du matin l’horizon se colore,
Si vous n’éprouvez rien, qu’avez-vous donc en vous
Qui fait bondir le cœur et fléchir les genoux ?
Ô terre ! à ton soleil qui donc t’a fiancée ?
Que chantent tes oiseaux ? que pleure ta rosée ?
Pourquoi de tes amours viens-tu m’entretenir ?
Que me voulez-vous tous, à moi qui vais mourir ?

Et pourquoi donc aimer ? Pourquoi ce mot terrible
Revenait-il sans cesse à l’esprit de Rolla ?
Quels étranges accords, quelle voix invisible
Venaient le murmurer, quand la mort était là ?

À lui, qui, débauché jusques à la folie,
Et dans les cabarets vivant au jour le jour,