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Qui ne sont qu’un délire, et depuis cinq mille ans
Se suspendent encore aux lèvres des amants ?

Ô profanation ! point d’amour, et deux anges !
Deux cœurs purs comme l’or, que les saintes phalanges
Porteraient à leur père en voyant leur beauté !
Point d’amour ! et des pleurs ! et la nuit qui murmure,
Et le vent qui frémit, et toute la nature
Qui pâlit de plaisir, qui boit la volupté !
Et des parfums fumants, et des flacons à terre,
Et des baisers sans nombre, et peut-être, ô misère !
Un malheureux de plus qui maudira le jour…
Point d’amour ! et partout le spectre de l’amour !

Cloîtres silencieux, voûtes des monastères,
C’est vous, sombres caveaux, vous qui savez aimer !
Ce sont vos froides nefs, vos pavés et vos pierres,
Que jamais lèvre en feu n’a baisés sans pâmer.
Oh ! venez donc rouvrir vos profondes entrailles
À ces deux enfants-là qui cherchent le plaisir
Sur un lit qui n’est bon qu’à dormir ou mourir ;
Frappez-leur donc le cœur sur vos saintes murailles,
Que la haire sanglante y fasse entrer ses clous.
Trempez-leur donc le front dans les eaux baptismales,
Dites-leur donc un peu ce qu’avec leurs genoux
Il leur faudrait user de pierres sépulcrales
Avant de soupçonner qu’on aime comme vous !

Oui, c’est un vaste amour qu’au fond de vos calices
Vous buviez à plein cœur, moines mystérieux !
La tête du Sauveur errait sur vos cilices
Lorsque le doux sommeil avait fermé vos yeux,
Et, quand l’orgue chantait aux rayons de l’aurore,