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Que te disent alors tous ces grands corps sans vie,
Ces murs silencieux, ces autels désolés,
Que pour l’éternité ton souffle a dépeuplés ?
Que te disent les croix ? que te dit le Messie ?
Oh ! saigne-t-il encor, quand, pour le déclouer,
Sur son arbre tremblant, comme une fleur flétrie,
Ton spectre dans la nuit revient le secouer ?
Crois-tu ta mission dignement accomplie,
Et comme l’Éternel, à la création,
Trouves-tu que c’est bien, et que ton œuvre est bon ?
Au festin de mon hôte alors je te convie.
Tu n’as qu’à te lever ; — quelqu’un soupe ce soir
Chez qui le Commandeur peut frapper et s’asseoir.

Entends-tu soupirer ces enfants qui s’embrassent ?
On dirait, dans l’étreinte où leurs bras nus s’enlacent,
Par une double vie un seul corps animé.
Des sanglots inouïs, des plaintes oppressées,
Ouvrent en frissonnant leurs lèvres insensées.
En les baisant au front le Plaisir s’est pâmé.
Ils sont jeunes et beaux, et, rien qu’à les entendre,
Comme un pavillon d’or le ciel devrait descendre :
Regarde ! — ils n’aiment pas ; ils n’ont jamais aimé.

Où les ont-ils appris, ces mots si pleins de charmes,
Que la volupté seule, au milieu de ses larmes,
A le droit de répandre et de balbutier ?
Ô femme ! étrange objet de joie et de supplice !
Mystérieux autel, où, dans le sacrifice,
On entend tour à tour blasphémer et prier !
Dis-moi, dans quel écho, dans quel air vivent-elles,
Ces paroles sans nom, et pourtant éternelles,