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Quinze ans ! — l’âge où la femme, au jour de sa naissance,
Sortit des mains de Dieu si blanche d’innocence,
Si riche de beauté, que son père immortel
De ses phalanges d’or en fit l’âge éternel !

Oh ! la fleur de l’Éden, pourquoi l’as-tu fanée,
Insouciante enfant, belle Ève aux blonds cheveux ?
Tout trahir et tout perdre était ta destinée ;
Tu fis ton Dieu mortel, et tu l’en aimas mieux.
Qu’on te rende le ciel, tu le perdras encore.
Tu sais trop bien qu’ailleurs c’est toi que l’homme adore ;
Avec lui de nouveau tu voudrais t’exiler,
Pour mourir sur son cœur, et pour l’en consoler !

Rolla considérait d’un œil mélancolique
La belle Marion dormant dans son grand lit ;
Je ne sais quoi d’horrible et presque diabolique
Le faisait jusqu’aux os frissonner malgré lui.
Marion coûtait cher. — Pour lui payer sa nuit
Il avait dépensé sa dernière pistole.
Ses amis le savaient. Lui même, en arrivant,
Il s’était pris la main et donné sa parole
Que personne, au grand jour, ne le verrait vivant.
Trois ans, — les trois plus beaux de la belle jeunesse,
Trois ans de volupté, de délire et d’ivresse,
Allaient s’évanouir comme un songe léger,
Comme le chant lointain d’un oiseau passager.
Et cette triste nuit, — nuit de mort, — la dernière, —
Celle où l’agonisant fait encor sa prière
Quand sa lèvre est muette, — où, pour le condamné,
Tout est si près de Dieu, que tout est pardonné, —
Il venait la passer chez une fille infâme,
Lui, chrétien, homme, fils d’un homme ! Et cette femme,