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T’emporta dans l’espace à ses pieds suspendu ?
N’avais-tu pas crié ton dernier anathème,
Et, quand tu tressaillis au bruit des chants sacrés,
N’avais-tu pas frappé, dans ton dernier blasphème,
Ton front sexagénaire à tes murs délabrés ?
Oui, le poison tremblait sur ta lèvre livide ;
La Mort, qui t’escortait dans tes œuvres sans nom,
Avait à tes côtés descendu jusqu’au fond
La spirale sans fin de ton long suicide ;
Et, trop vieux pour s’ouvrir, ton cœur s’était brisé
Comme un roc, en hiver, par la froidure usé.
Ton heure était venue, athée à barbe grise ;
L’arbre de ta science était déraciné.
L’ange exterminateur te vit avec surprise
Faire jaillir encor, pour te vendre au Damné,
Une goutte de sang de ton bras décharné.
Oh ! sur quel océan, sur quelle grotte obscure,
Sur quel bois d’aloès et de frais oliviers,
Sur quelle neige intacte au sommet des glaciers,
Souffle-t-il à l’aurore une brise aussi pure,
Un vent d’est aussi plein des larmes du printemps,
Que celui qui passa sur ta tête blanchie,
Quand le ciel te donna de ressaisir la vie
Au manteau virginal d’un enfant de quinze ans !
Quinze ans ! — Ô Roméo ! l’âge de Juliette !
L’âge où vous vous aimiez ! où le vent du matin,
Sur l’échelle de soie, au chant de l’alouette,
Berçait vos longs baisers et vos adieux sans fin !
Quinze ans ! — l’âge céleste où l’arbre de la vie,
Sous la tiède oasis du désert embaumé,
Baigne ses fruits dorés de myrrhe et d’ambroisie,
Et, pour féconder l’air, comme un palmier d’Asie,
N’a qu’à jeter au vent son voile parfumé !