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À qui donc ce manteau que cette femme essuie ?
Il est couvert de boue et dégouttant de pluie ;
C’est le tien, Maria, c’est celui d’un enfant.
Tes cheveux sont mouillés. Tes mains et ton visage
Sont devenus vermeils au froid souffle du vent.
Où donc t’en allais-tu par cette nuit d’orage ?
Cette femme n’est pas ta mère, assurément.

Silence ! on a parlé. Des femmes inconnues
Ont entr’ouvert la porte, — et d’autres, demi-nues,
Les cheveux en désordre et se traînant aux murs,
Traversaient en sueur des corridors obscurs.
Une lampe a bougé ; — les restes d’une orgie,
Aux dernières lueurs de sa morne clarté,
Sont apparus au fond d’un boudoir écarté.
Les verres se heurtaient sur la nappe rougie ;
La porte est retombée au bruit d’un rire affreux.

C’est une vision, n’est-il pas vrai, Marie ?
C’est un rêve insensé qui m’a frappé les yeux.
Tout repose, tout dort ; — cette femme est ta mère.
C’est le parfum des fleurs, c’est une huile légère
Qui baigne tes cheveux, et la chaste rougeur
Qui couvre ton beau front vient du sang de ton cœur.

Silence ! quelqu’un frappe, — et, sur les dalles sombres
Un pas retentissant fait tressaillir la nuit.
Une lueur tremblante approche avec deux ombres…
C’est toi, maigre Rolla ? que viens-tu faire ici ?

Ô Faust ! n’étais-tu pas prêt à quitter la terre
Dans cette nuit d’angoisse où l’archange déchu,
Sous son manteau de feu, comme une ombre légère,