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Comme si, malgré lui, le sombre Esprit du soir
Sentait sur ce beau corps frémir son manteau noir ?

Les pas silencieux du prêtre dans l’enceinte
Font tressaillir le cœur d’une terreur moins sainte,
Ô vierge ! que le bruit de tes soupirs légers.
Regardez cette chambre et ces frais orangers,
Ces livres, ce métier, cette branche bénite
Qui se penche en pleurant sur ce vieux crucifix ;
Ne chercherait-on pas le rouet de Marguerite
Dans ce mélancolique et chaste paradis ?
N’est-ce pas qu’il est pur, le sommeil de l’enfance ?
Que le ciel lui donna sa beauté pour défense ?
Que l’amour d’une vierge est une piété
Comme l’amour céleste, et qu’en approchant d’elle,
Dans l’air qu’elle respire on sent frissonner l’aile
Du séraphin jaloux qui veille à son côté ?

Si ce n’est pas ta mère, ô pâle jeune fille !
Quelle est donc cette femme assise à ton chevet,
Qui regarde l’horloge et l’âtre qui pétille,
En secouant la tête et d’un air inquiet ?
Qu’attend-elle si tard ? — Pour qui, si c’est ta mère,
S’en va-t-elle entr’ouvrir, depuis quelques instants,
Ta porte et ton balcon… si ce n’est pour ton père ?
Et ton père, Marie, est mort depuis longtemps.
Pour qui donc ces flacons, cette table fumante,
Que, de ses propres mains, elle vient de servir ?
Pour qui donc ces flambeaux, et qui donc va venir ?…
Qui que ce soit, tu dors, tu n’es pas son amante.
Les songes de tes nuits sont plus purs que le jour,
Et trop jeunes encor pour te parler d’amour.