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Qui vécut et mourut dans un si brave ennui,
S’il se taisait jadis, qu’eût-il fait aujourd’hui ?
Alors à mon esprit se présentaient en hâte
Nos vices, nos travers, et toute cette pâte
Dont il aurait su faire un plat de son métier
À nous désopiler pendant un siècle entier :
D’abord, le grand fléau qui nous rend tous malades,
Le seigneur Journalisme et ses pantalonnades,
Ce droit quotidien qu’un sot a de berner
Trois ou quatre milliers de sots, à déjeuner ;
Le règne du papier, l’abus de l’écriture,
Qui d’un plat feuilleton fait une dictature,
Tonneau d’encre bourbeux par Fréron défoncé,
Dont, jusque sur le trône, on est éclaboussé ;
En second lieu, nos mœurs, qui se croient plus sévères,
Parce que nous cachons et nous rinçons nos verres,
Quand nous avons commis dans quelque coin honteux
Ces éternels péchés dont pouffaient nos aïeux ;
Puis nos discours pompeux, nos fleurs de bavardage,
L’esprit européen de nos coqs de village,
Ce bel art si choisi d’offenser poliment,
Et de se souffleter parlementairement ;
Puis, nos livres mort-nés, nos poussives chimères,
Pâture des portiers ; et ces pauvres commères,
Qui, par besoin d’amants ou faute de maris,
Font du moins leur besogne en pondant leurs écrits ;
Ensuite, un mal profond, la croyance envolée,
La prière inquiète, errante et désolée,
Et, pour qui joint les mains, pour qui lève les yeux,
Une croix en poussière et le désert aux cieux ;
Ensuite, un mal honteux, le bruit de la monnaie,
La jouissance brute et qui croit être vraie,
La mangeaille, le vin, l’égoïsme hébété,