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Ses lèvres s’entr’ouvraient, et c’était un sourire,
Et c’était une voix ;

Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage,
Ces regards adorés dans les miens confondus ;
Mon cœur, encor plein d’elle, errait sur son visage,
Et ne la trouvait plus.

Et pourtant j’aurais pu marcher alors vers elle,
Entourer de mes bras ce sein vide et glacé,
Et j’aurais pu crier : Qu’as-tu fait, infidèle,
Qu’as-tu fait du passé ?

Mais non : il me semblait qu’une femme inconnue
Avait pris par hasard cette voix et ces yeux ;
Et je laissai passer cette froide statue
En regardant les cieux.

Eh bien, ce fut sans doute une horrible misère
Que ce riant adieu d’un être inanimé,
Eh bien, qu’importe encore ? Ô nature ! ô ma mère !
En ai-je moins aimé ?

La foudre maintenant peut tomber sur ma tête,
Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché ;
Comme le matelot brisé par la tempête,
Je m’y tiens attaché.

Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent,
Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain.
Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
Ce qu’ils ensevelissent.