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ROLLA


I

Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre
Marchait et respirait dans un peuple de dieux ?
Où Vénus Astarté, fille de l’onde amère,
Secouait, vierge encor, les larmes de sa mère,
Et fécondait le monde en tordant ses cheveux ?
Regrettez-vous le temps où les Nymphes lascives
Ondoyaient au soleil parmi les fleurs des eaux,
Et d’un éclat de rire agaçaient sur les rives
Les Faunes indolents couchés dans les roseaux ?
Où les sources tremblaient des baisers de Narcisse ?
Où, du nord au midi, sur la création
Hercule promenait l’éternelle justice
Sous son manteau sanglant, taillé dans un lion ?
Où les Sylvains moqueurs, dans l’écorce des chênes,
Avec les rameaux verts se balançaient au vent,
Et sifflaient dans l’écho la chanson du passant ?
Où tout était divin, jusqu’aux douleurs humaines,
Où le monde adorait ce qu’il tue aujourd’hui,
Où quatre mille dieux n’avaient pas un athée,
Où tout était heureux, excepté Prométhée,
Frère aîné de Satan, qui tomba comme lui ?
— Et, quand tout fut changé, le ciel, la terre et l’homme,
Quand le berceau du monde en devint le cercueil,