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Ceux-là nous font des lois, et ceux-ci des canaux ;
On aime le plaisir, l’argent, la bonne chère ;
On voit des fainéants qui labourent la terre ;
L’homme de notre temps ne veut pas s’éclairer,
Et j’ai perdu l’espoir de le régénérer.
Mais toi, quel fut ton sort ? À ton tour sois sincère.

Durand.

Je fus d’abord garçon chez un vétérinaire.
On me donnait par mois dix-huit livres dix sous ;
Mais il me déplaisait de me mettre à genoux
Pour graisser le sabot d’une bête malade,
Dont je fus mainte fois payé d’une ruade.
Fatigué du métier, je rompis mon licou,
Et, confiant en Dieu, j’allai sans savoir où.
Je m’arrêtai d’abord chez un marchand d’estampes
Qui, pour certains romans, faisait des culs-de-lampes.
J’en fis durant deux ans. Dans de méchants écrits
Je glissais à tâtons de plus méchants croquis.
Ce travail ignoré me servit par la suite ;
Car je rendis ainsi mon esprit parasite,
L’accoutumant au vol, le greffant sur autrui.
Je me lassai pourtant du rôle d’apprenti.
J’allai dîner un jour chez le père la Tuile ;
J’y rencontrai Dubois, vaudevilliste habile,
Grand buveur, comme on sait, grand chanteur de couplets
Dont la gaieté vineuse emplit les cabarets.
Il m’apprit l’orthographe et corrigea mon style.
Nous fîmes à nous deux le quart d’un vaudeville,
Aux théâtres forains lequel fut présenté,
Et refusé partout à l’unanimité.
Cet échec me fut dur, et je sentis ma bile
Monter en bouillonnant à mon cerveau stérile.