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DUPONT ET DURAND


DIALOGUE




Durand.

Mânes de mes aïeux, quel embarras mortel !
J’invoquerais un dieu, si je savais lequel.
Voilà bientôt trente ans que je suis sur la terre,
Et j’en ai passé dix à chercher un libraire.
Pas un être vivant n’a lu mes manuscrits,
Et seul dans l’univers je connais mes écrits.

Dupont.

Par l’ombre de Brutus, quelle fâcheuse affaire !
Mon ventre est plein de cidre et de pommes de terre.
J’en ai l’âme engourdie, et, pour me réveiller,
Personne à qui parler des œuvres de Fourier ?
En quel temps vivons-nous ? Quel dîner déplorable !

Durand.

Que vois-je donc là-bas ? Quel est ce pauvre diable
Qui dans ses doigts transis souffle avec désespoir,
Et rôde en grelottant sous un mince habit noir ?
J’ai vu chez Flicoteau ce piteux personnage.

Dupont.

Je ne me trompe pas. Ce morne et plat visage,
Cet œil sombre et penaud, ce front préoccupé,