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Dame Pluche

Rendez-moi la lettre. Il me l’a prise, seigneur ; justice !

Maître Blazius

C’est une entremetteuse, seigneur. Cette lettre est un billet doux.

Dame Pluche

C’est une lettre de Camille, seigneur, de votre fiancée.

Maître Blazius

C’est un billet doux à un gardeur de dindons.

Dame Pluche

Tu en as menti, abbé. Apprends cela de moi.

Perdican

Donnez-moi cette lettre ; je ne comprends rien à votre dispute ; mais, en qualité de fiancé de Camille, je m’arroge le droit de la lire. Il lit. « À la sœur Louise, au couvent de ***. » (À part.) Quelle maudite curiosité me saisit malgré moi ! Mon cœur bat avec force, et je ne sais ce que j’éprouve. — Retirez-vous, dame Pluche ; vous êtes une digne femme et maître Blazius est un sot. Allez dîner ; je me charge de mettre cette lettre à la poste.

(Sortent maître Blazius et dame Pluche.)
Perdican, seul

Que ce soit un crime d’ouvrir une lettre, je le sais trop bien pour le faire. Que peut dire Camille à cette sœur ? Suis-je donc amoureux ? Quel empire a donc pris sur moi cette singulière fille, pour que les trois mots écrits sur cette adresse me fassent trembler la main ? Cela est singulier ; Blazius, en se débattant avec la dame Pluche, a fait sauter le cachet. Est-ce un crime de rompre le pli ? Bon, je n’y changerai rien. (Il ouvre la lettre et lit.) « Je pars aujourd’hui, ma chère, et tout est arrivé comme je l’avais prévu. C’est une terrible chose ; mais ce pauvre jeune homme a le poignard dans le cœur ; il ne se consolera pas de m’avoir perdue. Cependant j’ai fait tout au monde pour le dégoûter de moi. Dieu me pardonnera de l’avoir réduit au désespoir par mon refus. Hélas ! ma chère, que pouvais-je y faire ? Priez pour moi ; nous nous reverrons demain et pour toujours. Toute à vous du meilleur de mon âme. — Camille. » Est-il possible ? Camille écrit cela ? C’est de moi qu’elle