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et qu’on ne peut ni voir ni toucher ? Qu’est-ce que c’est que de rencontrer une femme, de la regarder, de lui dire un mot, et de ne plus jamais l’oublier ? Pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ? Invoquez la raison, l’habitude, les sens, la tête, le cœur, et expliquez, si vous pouvez. Vous ne trouverez que deux corps, un là, et l’autre ici, et entre eux, quoi ? l’air, l’espace, l’immensité. Ô insensés qui vous croyez des hommes et qui osez raisonner de l’amour, l’avez-vous vu, pour en parler ? Non, vous l’avez senti. Vous avez échangé un regard avec un être inconnu qui passait, et tout à coup il s’est envolé de vous je ne sais quoi qui n’a pas de nom. Vous avez pris racine en terre, comme le grain caché dans l’herbe qui sent que la vie le soulève, et qu’il va devenir une moisson.

Nous étions seuls, la croisée ouverte ; il y avait au fond du jardin une petite fontaine dont le bruit arrivait jusqu’à nous. Ô Dieu !