Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, vol. I, 1836.djvu/148

Cette page n’a pas encore été corrigée

mais je passais les nuits sous ses croisées, assis sur un banc à sa porte ; je voyais ses fenêtres éclairées, j’entendais le bruit de son piano ; parfois je l’apercevais comme une ombre derrière ses rideaux entr’ouverts.

Une certaine nuit que j’étais sur ce banc, plongé dans une affreuse tristesse, je vis passer un ouvrier attardé qui chancelait. Il balbutiait des mots sans suite, mêlés d’exclamations de joie ; puis il s’interrompait pour chanter. Il était pris de vin, et ses jambes affaiblies le conduisaient tantôt d’un côté du ruisseau, tantôt de l’autre. Il vint tomber sur le banc d’une autre maison en face de moi. Là il se berça quelque temps sur ses coudes, puis s’endormit profondément.

La rue était déserte ; un vent sec balayait la poussière ; la lune, au milieu d’un ciel sans nuages, éclairait la place où dormait l’homme. Je me trouvais donc tête à tête avec ce rustre qui ne se doutait pas de ma présence,