Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée

cria d’arrêter, et, me tendant la main d’un air amical, me demanda, si je n’avais rien à faire, de venir dîner avec elle.

Cette femme, qui s’appelait madame Levasseur, était petite, grasse, et très blonde ; elle m’avait toujours déplu, je ne sais pourquoi, nos relations n’ayant jamais rien eu que d’agréable. Cependant je ne pus résister à l’envie d’accepter son invitation ; je serrai sa main en la remerciant ; je sentais que nous allions parler de ma maîtresse.

Elle me donna quelqu’un pour ramener mon cheval ; je montai dans sa voiture ; elle y était seule, et nous reprîmes aussitôt le chemin de Paris. La pluie commençait à tomber, on ferma la voiture ; ainsi enfermés en tête à tête, nous demeurâmes d’abord silencieux. Je la regardais avec une tristesse inexprimable ; non seulement elle était l’amie de mon infidèle, mais elle était sa confidente. Souvent, durant les jours heureux, elle avait été en tiers dans nos soirées. Avec quelle impatience je l’avais supportée alors ! combien de fois j’avais compté les instants qu’elle passait avec nous ! De là sans doute mon aversion pour elle. J’avais beau savoir qu’elle approuvait nos amours, qu’elle me défendait même parfois auprès de ma maîtresse dans les jours de brouille, je ne pouvais, en faveur de toute son amitié, lui pardonner ses importunités. Malgré sa bonté et les services qu’elle nous rendait, elle me semblait laide, fatigante. Hélas ! maintenant que je la trouvais belle ! Je regardais ses mains, ses vêtements ; chacun de ses gestes m’allait au cœur ; tout le passé y était écrit. Elle me voyait, elle sentait ce que j’éprouvais auprès d’elle et que de souvenirs m’oppressaient. Le chemin s’écoula ainsi, moi la regardant, elle me souriant. Enfin, quand nous entrâmes à