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aurez cru trouver dans votre maîtresse.

« Si vous êtes un homme faible, enclin à vous laisser dominer et à prendre racine là où vous voyez un peu de terre, faites-vous une cuirasse qui résiste à tout ; car si vous cédez à votre nature débile, là où vous aurez pris racine, vous ne pousserez pas ; vous sécherez comme une plante oisive, et vous n’aurez ni fleurs, ni fruits. La sève de votre vie passera dans une écorce étrangère ; toutes vos actions seront pâles comme la feuille du saule ; vous n’aurez pour vous arroser que vos propres larmes, et pour vous nourrir que votre propre cœur.

« Mais si vous êtes une nature exaltée, croyant à des rêves et voulant les réaliser, je vous réponds alors tout net : L’amour n’existe pas.

« Car j’abonde dans votre sens, et je vous dis : Aimer, c’est se donner corps et âme, ou, pour mieux dire, c’est faire un seul être de deux. C’est se promener au soleil, en plein vent, au milieu des blés et des prairies, avec un corps à quatre bras, à deux têtes et à deux cœurs. L’amour, c’est la foi, c’est la religion du bonheur terrestre ; c’est un triangle lumineux placé à la voûte de ce temple qu’on appelle le monde. Aimer, c’est marcher librement dans ce temple, et avoir à son côté un être capable de comprendre pourquoi une pensée, un mot, une fleur, font que vous vous arrêtez et que vous relevez la tête vers le triangle céleste. Exercer les nobles facultés de l’homme est un grand bien, voilà pourquoi le génie est une belle chose ; mais doubler ses facultés, presser un cœur et une intelligence sur son intelligence et sur son cœur, c’est le bonheur suprême. Dieu n’en a pas fait plus pour l’homme ; voilà pourquoi l’amour vaut mieux que le génie. Or, dites-moi, est-ce là l’amour de nos femmes ? Non, non, il faut en convenir.