Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/48

Cette page n’a pas encore été corrigée

ma chambre, il prit la chose au sérieux. Je le vis arriver un soir avec un air de gravité ; il me parla de ma maîtresse, et continua sur un ton de persiflage, disant des femmes tout le mal qu’il pensait. Tandis qu’il parlait, je m’étais appuyé sur mon coude, et me soulevant sur mon lit, je l’écoutais attentivement.

C’était par une de ces sombres soirées où le vent qui siffle ressemble aux plaintes d’un mourant ; une pluie aiguë fouettait les vitres, laissant par intervalles un silence de mort. Toute la nature souffre par ces temps : les arbres s’agitent avec douleur ou courbent tristement la tête ; les oiseaux des champs se serrent dans les buissons ; les rues des cités sont vides. Ma blessure me faisait souffrir. La veille encore, j’avais une maîtresse et un ami : ma maîtresse m’avait trahi, mon ami m’avait étendu dans un lit de douleur. Je ne démêlais pas encore clairement ce qui se passait dans ma tête ; il me semblait tantôt que j’avais fait un rêve plein d’horreur, et que je n’avais qu’à fermer les yeux pour me réveiller heureux le lendemain ; tantôt c’était ma vie entière qui me paraissait un songe ridicule et puéril, dont la fausseté venait de se dévoiler. Desgenais était assis devant moi, près de la lampe ; il était ferme et sérieux, avec un sourire perpétuel. C’était un homme plein de cœur, mais sec comme la pierre ponce. Une précoce expérience l’avait rendu chauve avant l’âge ; il connaissait la vie et avait pleuré dans son temps, mais sa douleur portait cuirasse ; il était matérialiste et attendait la mort.

« Octave, me dit-il, d’après ce qui se passe en vous, je vois que vous croyez à l’amour tel que les romanciers et les poètes le représentent ; vous croyez, en un mot, à ce qui se dit ici-bas et non à ce qui s’y fait. Cela vient